Après avoir abordé les grands principes de l’ikebana, puis les aspects techniques de la création des compositions florales dans deux autres articles, je te parle aujourd’hui du choix des végétaux en fonction de la saison et de ce qu’ils symbolisent au Japon.
Les végétaux qui composent les bouquets ikebana sont bien entendu choisis, outre leur couleur et leur texture, selon la saison.
Et ce n’est pas seulement à cause de leur disponibilité restreinte à une période de l’année, mais aussi et surtout à cause de la symbolique qui leur est rattachée, et aussi à cause du calendrier des nombreuses fêtes traditionnelles et rituels de saison, souvent associés à certaines fleurs et plantes. Des fleurs que l’on retrouve alors dans toutes les sphères de la vie quotidienne saisonnière : wagashi (pâtisserie qui en général accompagne le matcha), vêtements traditionnels, ikebana, etc.
Rappelons également qu’une composition florale de type chabana est placée dans le tokonama de la chambre de thé, pour chaque nouvelle cérémonie. Souvent, un bouquet des plus sobres utilisant les végétaux de la saison, en suivant un calendrier pratiquement stéréotypé depuis des siècles.
Parmi les plantes les plus appréciées en ikebana, on peut citer:
En hiver, la célèbre triade -pin, bambou et prunier- littérallement shochikubai en japonais.
Le pin est certainement l’arbre le plus important du Japon et il est très utilisé en ikebana. C’est un conifère qui représente à la fois l’endurance et la longévité, ou la fidélité et la loyauté (il est donc aussi utilisé dans les arrangements floraux pour les mariages).
Le bambou, qui lui aussi reste également vert toute l’année, représente l’intégrité et la franchise.
Enfin, la fleur de prunier est très apprécié au Japon, depuis des siècles, et bien avant la fleur de cerisier. Parmi les premières à apparaitre en hiver, elle marquait le début de l’année quand le calendrier lunaire chinois était en vigueur. Aujourd’hui, elle fleurit aux alentours de Setsubun, en début du mois de février, et indique le début du printemps.
Ces trois végétaux combinés ensemble, appelés les ” trois amis de l’hiver “, suggèrent un bonheur durable et constituent notamment les bouquets de Nouvel An en signe de bon augure.
Au printemps, plusieurs fêtes associées à des fleurs sont célébrées dans tout le pays.
Il y a d’abord, au mois de mars (troisième jour du troisième mois), la fête des filles, hina matsuri ou momo no sekku (litt. la fête de la pêche), durant laquelle on utilise les branches de pêchers pour décorer les maisons.
Puis vient la période du hanami (littéralement. regarder les fleurs) pendant la saison des cerisiers en fleurs, entre fin mars et début avril.
Et enfin, au mois de mai, kodomo no hi ou la fêtes des enfants (qui célébrait anciennement les garçons seulement) est associée à la culture ancestrale des samouraïs. Ce jour-là, les feuilles d’iris (en particulier de l’iris kakitsubata) rappellent la forme large et droite des lames des sabres et symbolisent la virilité et le succès.
On retrouvera donc, entre autres, dans les ikebana de printemps, les branches et fleurs du pêcher et du cerisier, et les iris.
En été, c’est la saison de la fleur de lotus, associée au bouddhisme (pensons à l’image du Bouddha assis sur une fleur de lotus), qui a une valeur spirituelle liée à la vie dans l’au-delà (et donc particulièrement utilisée pour des funérailles), et peut représenter le présent -avec ses larges feuilles vertes et ses boutons ouverts- le futur -quand ses feuilles courbées ne sont pas encore ouvertes et ses fleurs sont à l’état de bourgeons- ou le passé -lorsqu’il ne reste plus que la fleur séchée et les feuilles fanées.
En automne, ” les sept herbes de l’automne “ – qui sont des graminées, des herbes des champs et des plantes grimpantes- étaient déjà célébrées dans des poèmes datant du VIIIème siècle et continuent d’être aimées des japonais.
On pensera notamment au roseau de Chine, appelé aussi graminée géante (Miscanthus sinensis) ou susuki en japonais, qui accompagne le rituel du tsukimi de contemplation de la pleine lune à l’équinoxe d’automne.
L’automne est aussi la saison du chrysanthème, kiku en japonais, fleur emblématique de l’archipel, symbole du soleil. C’est la fleur associé à l’empereur (sa représentation avec 16 pétales dans les arts décoratifs est la marque exclusive de l’empereur), et elle représente aussi, au Japon, la jeunesse éternelle, la longévité et le bonheur…loin des funèbres connotations que nous lui associons en France.
On voit bien avec cet exemple en quoi le contexte culturel est important, comme nous l’avions dit la dernière fois.
ll y a aussi les fleurs de camélia, narcisse ou magnolia, en hiver, les pivoines et les lys au printemps, les hortensias, les roses trémières et l’ipomée en été, et enfin le nandina (ou bambou sacré, qui transforme les difficultés en bénédictions), les plantes à baies rouges et l’érable en automne. Et tant d’autres !
En célébrant la beauté naturelle des plantes et la succession des saisons, les ikebana expriment avec splendeur ou modestie, joie ou mélancolie, le caractère éphémère et instable de la vie, pourtant éternellement renouvelée. Christine Leenhardt, maître Ohara
La rédaction de cet article fait suite à une passionante conversation que j’ai eu le plaisir d’avoir avec Christine Leenhardt, maître Ikebana de l’école Ohara. Christine a généreusement partagé son expérience, ses connaissances et ses compositions florales (toutes les photos de cet article sauf mention contraire).
Tu peux suivre le travail de Christine (et la contacter) sur son profil Instagram, et visiter le site de l’école Ohara (en anglais) qui enseigne l’ikebana à Paris et en province.