Dans un autre article, je te parlais de l’ikebana comme chadō ou voie des fleurs. J’ajoute ici que ikebana signifie littéralement “fleurs vivantes”.
En fait, l’ikebana implique une connaissance approfondie des végétaux et des fleurs avec lesquelles on créé le bouquet. En effet, en travaillant un bouquet de manière classique, il faut respecter le plus possible la manière dont les végétaux poussent dans la nature (et en évitant par exemple d’associer deux végétaux qui ne proviennent pas du même milieu naturel).
Il existe de nombreuses écoles qui enseignent l’ikebana aujourd’hui dans le monde entier, et chaque école a developpé sa propre sensibilité, son propre vocabulaire, et ses propres modèles de bouquets, du plus basique au plus complexe.
Nous en retiendrons trois principales :
L’école Ikenobo, qui est la plus ancienne, a été formée à Kyoto au XVème siècle. Son enseignement technique est complexe et codifié, avec une théorie cosmogonique qui implique que chaque bouquet doive représenter l’univers entier et dont chaque branche a un nom.
Il y a ensuite l’école Sogetsu qui date du début du XXème siècle et qui est le reflet de la société japonaise qui s’ouvre vers l’Occident. Elle a une approche occidentale du concept esthétique et de la sensibilité personnelle. Elle enseigne la création de sculptures modernes avec les végétaux.
Enfin, il y a l’école Ohara, dont Christine fait partie, qui a une approche naturaliste de l’ikebana (et cherche à représenter la nature, les paysages et les peintures des lettrés), et propose plus de variétés et de formes de bouquets que d’autres écoles. Sa particularité est le bouquet moribana, créé dans un contenant peu profond et ouvert (de style coupelle ou grande assiette avec kenzan, ou pique-fleurs), dans lequel l’eau est un élément constitutif à part entière.
Malgré leurs diffèrences, toutes ces écoles suivent les mêmes principes pour la création d’un bouquet ikebana :
– Premièrement, comme nous l’avons vu la dernière fois, le schéma ternaire est la base de tout bouquet, les trois lignes symbolisant l’unité entre le Ciel, l’Homme et la Terre (voir illustrations ci-dessous tirées du livre de Gusty L.Herrigel, La voie des fleurs, ed. Dervy)
Il faudra donc doucement l’apprivoiser – en respectant les lignes directrices et les inclinaisons imposées lorsqu’on débute.
– Deuxièmement, il faudra comprendre les compositions asymétriques et travailler la perspective (profondeur).
– Enfin, le concept japonais du ma, ou vide, fait partie intégrante des notions à respecter. En effet, il est important de conserver un espace vide actif, qui permet au regard de se promener dans la composition. Une transition vide qui sépare et relie.
Le débutant en ikebana devra assimiler ces trois principes fondamentaux avant de se lancer dans des créations libres où aucune règle ne sera imposée et où il pourra se laisser guider par son intuition (composition de type Rinpa, voir photo plus bas).
Si plusieurs élèves travaillent une même forme de bouquet avec les mêmes végétaux, on arrivera quand même à voir des différences individuelles.
Mais le but n’est pas de révolutionner l’art moderne mais de travailler avec des végétaux, d’exprimer la beauté d’une saison ou d’une plante, de trouver des associations de couleurs et de textures qui expriment des choses qui ne sont pas forcément personnelles.
“On respecte une esthétique qu’on admire et qui a mis des millénaires à cristalliser…et ce n’est pas pour des prunes !” dit Christine
Par exemple, on cherchera à créer un paysage d’automne, ou à représenter une brise d’été près d’un étang où poussent des iris, ou encore le début du printemps. Dans tous les cas, on utilisera des végétaux typiques de la saison.
Les végétaux principalement utlisés seront des végétaux japonais.
Ce qui implique qu’il est important d’inclure dans l’enseignement de l’ikebana aux occidentaux le contexte culturel et artistique du choix des plantes et fleurs. En effet, un occidental sans les références florales littéraires, poétiques ou populaires japonaises n’appréhendera pas le bouquet de la même manière, même s’il pourra tout de même être ému.
Lorsque Christine, maître ikebana depuis un an (après 8 ans d’études à l’école Ohara de Paris), créé une composition florale, elle se perd et se retrouve en même temps, elle se laisse traverser par quelque chose qui la dépasse, elle prend plaisir à créer quelque chose de visuel, d’esthétique. Elle aime travailler avec le vivant.
Elle me raconte que c’est un travail sur l’émotion et le lien avec la nature. Mais aussi et surtout, sur le caractère éphémère des végétaux et le concept du mono no aware ou “la poignante mélancolie des choses” qui fait référence à cette nostalgie des choses qui sont et ne seront plus, ou qui ont été et ne sont plus.
Tu peux lire les deux autres articles de la série ikebana ici et là (clique sur les liens).
La rédaction de cet article fait suite à une passionante conversation que j’ai eu le plaisir d’avoir avec Christine Leenhardt, maître Ikebana de l’école Ohara. Christine a généreusement partagé son expérience, ses connaissances et ses compositions florales (toutes les photos de cet article sauf mention contraire).
Tu peux suivre le travail de Christine (et la contacter) sur son profil Instagram, et visiter le site de l’école Ohara (en anglais) qui enseigne l’ikebana à Paris et en province.